Hérault : Bugeaud, des enfumades abominables en Algérie à la rue de Montpellier

vendredi 24 octobre • 10:08
Des voix se lèvent pour réclamer que soit dépabtisée l'impasse Général Bugeaud, quartier Lemasson à Montpellier. On vous explique pourquoi.

C’est une plaque de rue somme toute banale en apparence, l’une de celles qui maillent le territoire montpelliérain. Certains noms honorent des figures de la Résistance, le combat sociétal de certaines icônes féminines, ou de grands hommes politiques, à l’instar de de Gaulle. Puis il y en a une autre, plus sournoise, douloureuse à lire. De celles qui ravivent les blessures d’un sombre passé et contribuent à fragiliser la réconciliation entre deux patries liées à vie. La plaque bleue est bien visible, elle trône sur l’une des impasses du quartier Croix d’Argent – Lemasson, à Montpellier. En lettres blanches peut-on lire : « impasse Général Bugeaud (1784 – 1849) ».

« Impasse Général Bugeaud (1784 – 1849) ».

Pour le quidam qui se balade dans le quartier, son regard se posera une fraction de seconde sur cette plaque. Inconscient de la symbolique, il s’en servira peut-être en guise de repère. Pour les générations marquées par les 132 ans de colonisation française en Algérie et l’épilogue sanglant, cette plaque suscite des frissons qui parcourent le corps. Vient l’incompréhension, laissant place au dégoût. Cette plaque, Riles l’a également aperçue. Habitant de Montpellier, il y est né et en est éperduement attaché. Il y a quelques années, ce riverain d’origine algérienne se décide à s’emparer du sujet en formulant une demande au maire de Montpellier, Michaël Delafosse, ainsi qu’à Clare Hart, déléguée au rayonnement international.

« Des centaines de civils algériens y compris femmes et enfants ont été asphyxiés »

Il écrit alors sur la « nécessité de débaptiser l’impasse Bugeaud à Montpellier », argumentant ainsi : « Comme vous le savez, le maréchal Thomas Robert Bugeaud est tristement célèbre pour son rôle dans la répression violente des Algériens pendant la colonisation, et notamment pour les enfumades de 1845. Des centaines de civils algériens y compris femmes et enfants ont été asphyxiés dans des grottes, vestige de la sombre histoire coloniale française ». Une demande dans le sillage de la décision d’Anne Hidalgo, maire socialiste de Paris, qui, le 14 octobre 2024, a débaptisé l’avenue Bugeaud dans sa ville, en raison des implications historiques associées à cette figure.

Retour en arrière. Le 14 juin 1830, le premier soldat français posa le pied sur la terre algérienne. Par la suite, l’armée française a recouru, sur les ordres de l’État, à de violentes répressions, villages incendiés, exécutions de masse, déplacements forcés de populations. Au sein de cette funeste panoplie, les enfumades furent abominables : contraindre des populations à se réfugier – ou les poursuivre – dans des endroits isolés, en l’occurrence des grottes, les bloquer, puis allumer des brasiers et provoquer ainsi des morts atroces.

« Fumez-les à outrance, comme des renards »

L’épisode dit des grottes du Dahra (du nom du massif entre Orléansville – aujourd’hui Chlef – et Ténès), fut monstrueux. Il y eut par ailleurs des enfumades avant et après Dahra, selon un ordre formel signé Bugeaud à ses officiers : si les populations résistent, « fumez-les à outrance, comme des renards ». Le 18 juin 1845, une colonne commandée par le colonel Pélissier, chargée de «  pacifier » la région, est attaquée. Sur ordre de Bugeaud, elle poursuit les assaillants, mais aussi toute la population civile qui fuit. Un millier de personnes, hommes, femmes et enfants, se réfugient dans des grottes.

« Le feu dura toute la journée« 

Pélissier procède à un violent incendie à la lisière de ces refuges. Les récits qu’en fit Pélisier lui-même (Rapport au Maréchal Bugeaud, 22 juin 1845) sont glaçants : « Je fis faire une masse de fagots et un foyer fut allumé et entretenu à l’entrée supérieure. Le feu dura toute la journée. J’établis mon camp dans une excellente position de manière à rester maître absolu de toutes les issues. J’étais bien certain, à la faveur de la lune et de toutes mes embuscades, de n’en laisser échapper aucun ». Toujours sous la plume de Pélissier, le bilan s’établit à 500 cadavres – chiffre depuis majoré par les études historiques.

Très vite, le bruit du crime se répandit en Algérie, puis atteignit la France. Les quotidiens Le Journal des Débats et La Presse le firent connaître au public. Un débat d’une rare vivacité se déroula à la Chambre des Pairs, dès le 11 juillet. Le prince de la Moskowa, fils du célèbre maréchal Ney, interpella le ministère et dénonça « un meurtre consommé avec préméditation sur des Arabes réfugiés sans défense ». 

Une demande envoyée au maire de Montpellier, restée lettre morte

Retour en 2025. Rilès poursuit dans son courrier à l’adresse du locataire de la Maison bleue : « En tant que professeur, vous comprenez certainement le symbole des noms dans l’espace public. Débaptiser cette impasse serait un geste fort, en phase avec les valeurs d’égalité et de justice qui sont les nôtres ».Depuis, plus de son, plus d’image. Sollicitée, la mairie n’a pas répondu à nos questions à ce sujet. « Récemment, j’ai été scandalisé par la tentative de récupération du maire de Montpellier, qui a fait apposer une plaque pour commémorer le massacre d’Algériens du 17 octobre 1961 à Paris. Quel rapport avec Montpellier ? Cet événement s’est déroulé à Paris ! À l’approche des élections municipales, cette initiative ressemble surtout à une manœuvre électoraliste visant à séduire les électeurs d’origine algérienne », juge Rayan. Lequel s’interroge, pourquoi la plaque n’a pas été débaptisée ? « Peut-être que dans le quartier vivent de nombreux pieds-noirs ? », lance-t-il.

« Comment accepter qu’à Montpellier une rue porte encore le nom du bourreau de l’Algérie ? »

Rhany Slimane, co-chef de file LFI pour les municipales de Montpellier, voit également d’un très mauvais oeil cette plaque. Il fulmine : « Comment accepter qu’à Montpellier une rue porte encore le nom du maréchal Bugeaud, bourreau de l’Algérie ? Il est temps de décoloniser la mairie de Montpellier et son sérail en place depuis un demi-siècle et d’ouvrir un nouveau chapitre. Montpellier, la Méditerranéenne, doit être la ville qui regarde enfin son histoire en face et peut-être la ville qui amorce le devoir de mémoire dont la France a tant besoin ».

Plaque posée du 17 octobre 1961, « une manœuvre électoraliste »

La pose de la plaque en hommage aux Algériens massacrés par l’État français en 1962 ? « Elle arrive trop tard, au moment où l’échéance électorale dicte soudain à la majorité municipale un sursaut de mémoire. L’an passé, j’avais déjà dénoncé les propos révisionnistes d’une adjointe de Michaël Delafosse, qui osait imputer une part de responsabilité au FLN dans ce crime d’État, se souvient Rhany Slimane. Ce travestissement de l’histoire révèle la persistance d’une gauche coloniale, dont la majorité Delafosse est aujourd’hui l’expression la plus aboutie. Oui, cette plaque est une victoire des militants anticolonialistes, mais le combat continue ».

Linda Mansouri/InfOccitanie.