InfOccitanie : Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Mounir Benslima : J’ai 68 ans. Je suis le chef du service de la médecine légale à Nîmes depuis presque dix ans. Auparavant, le centre hospitalier universitaire de Nîmes était le seul sans service de médecine légale. Cette anomalie a finalement été réparée en 2012. Heureusement, car le service de Nîmes couvre tout de même sept tribunaux : Nîmes, Alès, Carpentras, Avignon, Mende, Privas et Tarascon.
InfOccitanie : Comment est constituée l’équipe qui oeuvre à vos côtés ?
Mounir Benslima : Sur l’effectif, nous sommes six médecins légistes, deux psychologues, trois secrétaires et une dizaine d’agents d’amphithéâtre (chargés d’amener les corps dans la salle, ndlr). Le service de médecine légale à Nîmes est composé de trois entités : l’institut médico-légal où les autopsies sont pratiquées, l’unité médico-judiciaire où sont vues les victimes et la chambre mortuaire où sont admises les personnes décédées arrivant sur réquisition judiciaire ainsi que les personnes décédées à l’hôpital.
InfOccitanie : Une journée type avec Mounir Benslima, cela ressemble à quoi ?
Mounir Benslima : Une journée ne ressemble jamais à une autre. Quand je me lève le matin, je sais ce qui est prévu et combien d’autopsies sont programmées. Un médecin s’occupe des visites médicales à l’extérieur en se déplaçant au commissariat central de Nîmes et dans certaines gendarmeries. Des victimes viennent aussi à l’hôpital. Puis, il y a l’imprévu. Cela peut être un meurtre, un décès suspect. On peut être appelés les week-ends et les jours fériés compris. La nuit, un médecin est de garde. Il m’arrive d’être d’astreinte le soir, je reste joignable. Quand une affaire démarre, le médecin légiste est un acteur à plein temps. Il collabore autant avec les forces de l’ordre que les autorités judiciaires. C’est le métier qui veut ça.
InfOccitanie : Quelle zone géographique couvrez-vous ?
Mounir Benslima : Il y a une distinction à faire. Pour tout ce qui concerne les victimes et les levées de corps, on couvre à peu près le département du Gard. S’il y a une mort suspecte ou une mort nécessitant l’intervention d’un légiste, le médecin dispose d’un véhicule pour se déplacer. Pour le reste (Avignon, Carpentras, Tarascon, Mende, Privas), on ne se déplace que si l’affaire est criminelle. Puis, il arrive que j’exerce au-delà de la zone géographique prévue quand on me nomme. C’est le cas pour l’affaire Pierre Palmade, pour laquelle je suis médecin conseiller de trois victimes.
InfOccitanie : Quelles sont les différentes branches du métier ?
Mounir Benslima : On est perçus à tort comme étant les médecins de la mort. C’est faux. Un tiers de notre temps est effectivement consacré à la médecine de la mort mais deux tiers sont consacrés au vivant. On est amenés à examiner toutes les victimes. Il peut s’agir d’un accident de la circulation, de violences conjugales, etc. Outre l’examen médico-légal effectué par le médecin légiste, la victime peut aussi être suivie par un psychologue de notre service. On a un rôle de soins. En dehors de cela, on peut aussi examiner des gardés à vue pour se prononcer sur la compatibilité de la mesure et son état de santé. Puis, le médecin légiste intervient aussi dans le cadre des procès. L’activité est multiple mais essentiellement consacrée au vivant.
InfOccitanie : Comment a évolué la médecine légale ces dernières années ?
Mounir Benslima : L’ADN, au-delà d’avoir fait évoluer ma manière de travailler, a transformé les enquêtes de manière générale. L’ADN est présent dans notre activité. Beaucoup d’affaires criminelles sont résolues grâce aux prélèvements effectués. La médecine légale a progressé. Aujourd’hui, on peut faire des scanners en 3D notamment pour les autopsies balistiques. On a toute une panoplie d’examens à notre disposition nous permettant d’avancer. On peut même avoir une horodatation sur les heures ayant précédé le décès. Cette évolution, c’est un plus pour l’enquête sans aucun doute.
InfOccitanie : Comment voyez-vous l’avenir de la profession ?
Mounir Benslima : Les progrès au niveau de la médecine vont continuer je pense. Ce qui me fait peur est la pénurie médicale qui concerne aujourd’hui toutes les spécialités. La médecine légale n’échappe pas à la règle. Moi, j’ai mis deux ans pour recruter quelqu’un. Le président de la cour d’appel tire d’ailleurs la sonnette d’alarme.
InfOccitanie : Quels sont les principaux axes d’amélioration dans la profession ?
Mounir Benslima : Il y a deux domaines où la médecine légale a progressé mais à petits pas. Le premier est l’horodatation d’un décès. Aujourd’hui, on a toujours les mêmes paramètres. On a essayé d’améliorer mais il y a toujours des difficultés. Quand vous entendez à la télé qu’il est mort à 19h58, c’est de la bêtise. On peut donner une fourchette mais pas une heure précise. L’horodatation mérite d’être affinée. Le deuxième sujet est l’examen des victimes de viol. L’examen génito-anal d’une victime de viol est précieux. Il ne faut pas se tromper. Là aussi, il faudrait que de nouveaux moyens puissent améliorer cet examen un peu comme le scanner 3D ou l’ADN.
InfOccitanie : Vous travaillez actuellement sur un livre. Quel en sera le contenu et où en êtes-vous de son écriture ?
Mounir Benslima : Effectivement, je suis en train d’écrire un livre. Le titre, je ne l’ai pas encore. Pour l’instant, j’en suis aux deux tiers. Mon premier chapitre, c’est mon arrivée en France et mes racines tunisiennes. Je veux raconter ma vie, mes expériences. Moi, j’ai passé mon bac quatre fois. Quand je le dis, les gens ne comprennent pas comment je peux être médecin aujourd’hui. Le reste du livre sera consacré à des affaires. Par exemple, ce soir, je vais en écrire une. C’est l’affaire Malinge, elle est très connue. Le 1er décembre 2010, je fais l’autopsie d’une dame trouvée morte sur un parking à Avignon. Je fais la levée de corps sur place. Grâce à l’ADN, un homme est mis en cause. Pendant le procès, on se rend compte que l’accusé a fréquenté la petite-fille de la victime. Donc, suspension du procès. Supplément d’informations. Finalement, cette information n’a pas eu d’incidence. L’ADN n’est pas resté quatre mois sur la blouse. Il a finalement était condamné à la perpétuité.
InfOccitanie : Pouvez-vous nous parler d’une affaire marquante dans votre carrière ?
Mounir Benslima : J’ai expertisé Dominique Pélicot. Le procès a failli s’arrêter. Ce week-end là, j’étais en Corse et je suis justement rentré pour l’expertise. J’ai exigé deux choses. Je ne voulais pas être seul parce que le dossier était trop médiatisé. Je voulais être en collège d’experts et je voulais choisir mon co-expert. On l’a expertisé. Dominique Pélicot était fatigué mais le procès a pu reprendre avec des aménagements : une pause toutes les vingt minutes, une possibilité de pouvoir s’allonger, etc. Puis, j’ai autopsié Charles Aznavour. Le grand Charles est décédé dans le département voisin des Bouches-du-Rhône. À son décès, le procureur de la République de Tarascon de l’époque avait, non pas un doute, mais évoquait des circonstances complexes car ce soir-là, plusieurs convives étaient partis. D’un commun accord, on a décidé d’une autopsie qui a été réalisée 24 heures après. Il est décédé d’une mort naturelle. Lors de l’autopsie du grand Charles, on a travaillé en écoutant sa musique pour le respect du grand bonhomme que c’était.